Texte co-écrit avec le réalisateur Jules Faes.
C’était en octobre et l’année on s’en fiche. Un automne qui ressemble à la fin de l’été. Le changement de couleur des feuilles de ce moment là est beau. Il est splendidement beau. Je ne sais pas si le vert est adouci mais le jaune est vaillant. On était parti chercher des châtaignes mais on en a ramassées pas plus de dix. On préfère boire le moment par la gorge des sensations plutôt que de ramasser à manger pour plus tard. On est déjà au milieu de l’après-midi, ce qui est très vite devenu une fin d’après soirée. Il y a encore de la lumière. Les rayons nous encouragent à marcher jusqu’en haut du château. La vue décrite ici existe géographiquement, c’est la vallée. Amoureuse et fatiguée, il y a une présence pleine de l’énergie des vacances qui se sont arrêtées tard. Ce n’était pas vraiment des vacances. Il y a des collines. Je me rappelle m’être dit que les champs répartis en petites formes rectangulaires étaient étrangement cousus.
Un patchwork de différents tissus s’étale sur les pentes. Les collines irriguées s’érodent. Elles deviennent minérales et sèches. Les cultures sont bien rangées, dans des figures géométriques à angles droits qui s’emboîtent. La vallées entière semble être recouverte d’une couette molletonnée faite à partir de différentes épaisseurs de laine, soie, lin, coton. Les champs sont striés. Les plantations régulières et rangées grignotent les forêts. La lecture d’ouvrages écologiques traitant de l’agriculture actuelle m’a fait juger cette vue. Pourtant, la rapide prise d’informations paysagères et le regard dirigé par des analyses environnementales, n’a pas pu enlever le calme sentiment observateur d’une vue panoramique en fin de journée. La beauté sauve tout. La lumière douce est plus forte que n’importe quelle réalité spatiale. Je pourrais simplement écrire ces deux phrases à répétition. La beauté sauve tout. La lumière est plus forte.On s’est mis à un endroit dangereux et on a mangé des noix. Des frelons asiatiques bourdonnent très près. Deux vélos sont accrochés près de la barrière du train. Le train, celui qui traverse la vallée. Je me sens calme. Je n’ai même pas envie de fumer la cigarette qui honorerait cette vue.
Pourtant, il se trouve que là, maintenant, quand j’écris ces lignes, j’en ai envie. Par ce que j’ai peur.
J’ai peur de ce que j’essaye de décrire. Qu’est ce que j’essaye de décrire ?
C’est un moment.-une fin d’après midi, qui devient un début de soirée-
Situé dans un lieu. -un des murs du château de Pflixbourg, dans la vallée de Munster, en Alsace-.
C’est un moment et un lieu qui se rencontrent. C’est un laps de temps limité, dans un espace défini. Je veux dire que c’était beau et le décrire. Je veux dire que c’était beau et le dessiner. Je veux dire que ce moment a été vécu.
Mais je veux décrire quoi ? Pourquoi je veux le décrire ? - Par ce que c’était beau.
Oui, c’était beau, merci. C’est tout ? - Non ! Par ce que je veux marquer cette beauté, et la partager. La décortiquer et la rendre plus réelle.
Ce partage est-il nécessaire ? Ce désir d’un réel décortiqué a t-il besoin d’être assouvi ? -Non..
Mais je crois que la vie ne sert pas ce qui est nécessaire. Et certains désirs méritent d’être assouvis. Ce moment, à manger des noix en regardant la vue des collines, n’est pas nécessaire. Il contient pourtant pleins de désirs.
Il est, et a été, radicalement impérieux, important, absolu; et je crois fondateur dans son genre.